Auteur: Mylène Murot
Le yoga est comme un iceberg immergé dont on ne voit que la toute petite partie qui émerge à la surface.
Dans ses différents aspects, postural, énergétique, citoyen… le yoga nous engage à un travail sur soi. Il part de l’observation, passe par l’acceptation pour parvenir à un stade où les limites sont progressivement questionnées, repoussées, sur tous les plans de l’être : physique, émotionnel, mental. Chaque partie déclenchant automatiquement une réaction dans les autres. Cette connaissance de soi progressivement acquise, cette fluidité, cet ancrage et cette souplesse libèrent une disponibilité et une clairvoyance propices à générer une plus grande créativité.
Le yoga permet de dépasser nos habitudes, de modifier nos comportements inadaptés ou déficitaires pour créer son unicité propre.
D’autre part, sa pratique développe une conscience plus fine, favorise la concentration, crée un ancrage plus solide et apprend à vivre plus réellement le moment présent. Ce sont ici des dispositions indispensables pour que la créativité jaillisse.
Les personnes qui n’utilisent pas ce potentiel créatif, essaient de trouver des solutions par un raisonnement intellectuel. N’utilisant ainsi que l’hémisphère gauche de leur cerveau.
Notre partie artistique, émotionnelle est capable de passer d’une chose à l’autre sans aucun lien logique visible, permettant de traiter des millions d’informations ; un système performant, plus rapide, plus efficace. Etre créatif c’est accepter qu’il y ait des solutions au-delà de notre raisonnement intellectuel, qu’une partie plus puissante en nous est à notre service.
« La pensée créative contribue à la fois à la prise de décision et à la résolution de problèmes en nous permettant d’explorer les alternatives possibles et les diverses conséquences de nos actions ou de notre refus d’action. Cela nous aide à regarder au-delà de nos propres expériences […]. La pensée créative peut nous aider à répondre de façon adaptative et avec souplesse aux situations de la vie quotidienne ». OMS La pensée créative suppose d’aller au-delà des idées préétablies pour développer des comportements nouveaux et inédits, en fonction de la situation et ce quel que soit le domaine.
La créativité représente une forme d’adaptation de l’être humain à un environnement changeant. Cela nécessite une fluidité et une flexibilité mentales.
Sans entrer dans le détail des neurosciences, la fluidité et la flexibilité mentales sont regroupées sous le terme de fonctions exécutives en neuropsychologie.
Concrètement, elles représentent la capacité à trouver différentes solutions à un problème et à envisager ce dernier sous différents angles.
Nous sommes ainsi en état de yoga, dans cette vision de changements de nos conditionnements.
Sans la créativité nous serions encore à l’âge de pierre.
Le yoga développe un art de vivre, un « art de soi » que l’on retrouve depuis Platon. Foucault, lui, parle des « arts de soi-même ».
Kandinsky, peintre russe mort en 1944, définit l’art comme « une nécessité intérieure » dans son essai « Du spirituel dans l’art et dans la peinture en particulier » au début du XXème siècle.
L’ouvrage Du spirituel dans l’art, et dans la peinture en particulier repose sur des années d’observations et d’expériences picturales menées par Kandinsky et sur sa foi en la progression de l’âme humaine, à laquelle l’art doit à ses yeux contribuer.
Kandinsky parle de la nécessité intérieure comme d’un centre absolu.
C’est cette nécessité intérieure qui doit se porter garante du sens de l’œuvre. Car l’art ne peut élever l’humanité que dans la mesure où il procède d’une nécessité intérieure qui confère à l’œuvre une véritable résonance.
Il s’interroge sur les pouvoirs de la couleur, comment elle agit sur notre conscience profonde.
L’art pourrait se définir comme un ensemble de gestes, de procédés, une habileté, une maîtrise qui permet d’exprimer un idéal d’esthétisme.
C’est aussi une aptitude particulière à rendre visible, audible, ce qui ne l’est pas forcément.
Les différentes formes que peuvent revêtir cette expression artistique symbolisent les relations entre l’homme et la nature, entre l’esprit humain et son environnement.
L’artiste, par cette démarche, est porté par un ensemble de pensées à la fois conscientes, inconscientes, individuelles, collectives (son époque, sa culture).
Il est épris de liberté, dans une recherche de l’absolu mais il se trouve contraint dans son expression par la matière. Cette matière qui lui résiste et à qui il doit faire dire impérativement quelque chose pour communiquer avec le monde extérieur.
Il navigue ainsi dans une dualité, il cherche ce besoin constant d’harmonie.
On peut dire aussi que l’artiste cherche à exprimer ce qui respire en lui et que cet acte tourné vers l’extérieur l’amène cependant, peu à peu, à mieux se découvrir, à mieux se connaitre. Tout comme le pratiquant de yoga, il est à la recherche de sa vraie nature afin de trouver la meilleure version de lui-même.
La création nécessite une préparation mentale, un certain état de conscience.
Par ex. en chine, le peintre doit méditer très longtemps avant de prétendre tracer le moindre trait, c’est la condition sine qua non avant de peindre ou d’écrire.
En occident, MIRO, se préparait physiquement et mentalement avant de peindre, à la manière du tireur à l’arc dans la tradition zen.
L’esprit doit être ouvert, pleinement disponible, présent : avant de « faire » il faut « être »…
D’autre part, la pratique artistique elle-même, pendant le temps de la réalisation, est aussi un état modifié de conscience.
Peindre, écrire, interpréter une musique oblige l’artiste à s’absorber totalement dans l’action, à ne faire qu’un avec le moment présent.
L’artiste ne fait qu’un avec le geste et la matière.
Les psychologues parlent aujourd’hui, au sujet de cet acte créatif, d’une « expérience du flux », c’est-à-dire un état de fusion parfaite entre le sujet et l’objet.
Nous faisons abstraction de nos préoccupations mentales ou matérielles durant le temps où notre esprit est absorbé dans la création.
Maintenant ce qui est aussi intéressant, c’est de se placer du côté du spectateur, du récepteur de l’œuvre. Cette réception de l’œuvre d’art peut induire chez le spectateur une conscience différente de la conscience ordinaire. Dans le sens où c’est une rupture vis-à-vis des habitudes… un temps de suspension, dans un état de disponibilité aux choses, aux sensations… l’expérience esthétique est alors une expérience de pleine conscience.
Pour l’artiste comme pour le yogui, on constate, cette nécessité de se relier, d’unifier, de recentrer l’être vers l’essentiel de son existence, sans séparation ni du corps, ni de l’esprit, en harmonie avec l’environnement.
De par leur recherche, l’artiste et le yogui évoluent quant à leur vision du monde, leur relation à l’autre, leur comportement face à une situation.
Le yogui cherche à atteindre ce qu’il y a de plus profond en lui-même ; l’artiste exprime cette profondeur. Tous deux recherchent la source.
La peinture doit être un « calmant cérébral ». L’art est un moyen d’accéder à la paix intérieure. Monet (1840 – 1926)
« La peinture panoramique des Nymhéas nous plonge dans une expérience immersive et méditative qui préfigure nombre d’installations contemporaines »
« Etre artiste, signifie être présent » Marina Abromovic (Musée d’art moderne New york 2012).
Conclusion :
Ainsi, les ateliers qui associent les outils du yoga et la création artistique spontanée s’inscrivent dans une démarche complémentaire d’exploration de soi, d’épanouissement général de la personne en se reconnectant à sa nature intérieure afin de mieux s’ouvrir aux autres et au monde.
Dans ces propositions, aucune connaissance artistique n’est nécessaire puisqu’il ne s’agit pas de créer une « œuvre » mais de se poser pour laisser libre cours à l’expression spontanée qui conduit à la connaissance de soi transférable dans les autres domaines de la vie quotidienne.
Un chemin vers l’autonomie, parce que cette créativité permet d’harmoniser le corps et l’esprit.
Références :
- FILLIOT « le yoga comme art de soi »
- VERDIER « passagère du silence » Revue du 3ème millénaire
Krisnamurti « l’esprit de création »
Kandinsky « du spirituel dans l’art, et dans la peinture en particulier »